LE TROUVILLE D'EUGÈNE BOUDIN

 LE TROUVILLE 

D'EUGÈNE BOUDIN


Photographie d’Eugène Boudin 

à Deauville-Trouville (juin 1896)


     Il allait maintenant, frôlant les groupes, tournant autour, saisi par des pensées nouvelles. Toutes ces toilettes multicolores qui couvraient le sable comme un bouquet, ces étoffes jolies, ces ombrelles voyantes, la grâce factice des tailles emprisonnées, toutes ces inventions ingénieuses de la mode depuis la chaussure mignonne jusqu'au chapeau extravagant, la séduction du geste, de la voix et du sourire, la coquetterie enfin étalée sur cette plage lui apparaissaient soudain comme une immense floraison de la perversité féminine. Toutes ces femmes parées voulaient plaire, séduire, et tenter quelqu'un.

    Elles s'étaient faites belles pour les hommes, pour tous les hommes, excepté pour l'époux qu'elles n'avaient plus besoin de conquérir. Elles s'étaient faites belles pour l'amant d'aujourd'hui et l'amant de demain, pour l'inconnu rencontré, remarqué, attendu peut-être.

    Et ces hommes, assis près d'elles, les yeux dans les yeux, parlant la bouche près de la bouche, les appelaient et les désiraient, les chassaient comme un gibier souple et fuyant, bien qu'il semblât si proche et si facile. Cette vaste plage n'était donc qu'une halle d'amour où les unes se vendaient, les autres se donnaient, celles-ci marchandaient leurs caresses et celles-là se promettaient seulement. Toutes ces femmes ne pensaient qu'à la même chose, offrir et faire désirer leur chair déjà donnée, déjà vendue, déjà promise à d'autres hommes.

    Et il songea que sur la terre entière c'était toujours la même chose.


Guy de Maupassant - "Pierre et Jean" - Extrait du chapitre V



Eugène Boudin. Sur la plage de Trouville (1863). Huile sur bois, 25,4 × 45,7 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. « Sur la plage de Trouville reflète l’intérêt de Boudin pour les effets de lumière et d’atmosphère, qu’il s’agisse du drapeau et de la crinoline flottant dans la forte brise ou de la lumière grise et froide émanant du ciel couvert. Peint dans son atelier, ce travail a probablement été basé sur des études prises sur le vif. L’artiste a souvent annoté de telles études avec la date, l’heure, et la force du vent. » (Notice Metropolitan Museum of Art)


Pierre acquiert progressivement la certitude de l'infidélité de sa mère, ses soupçons deviennent de plus en plus forts et nourrissent une angoisse qui le pousse à s'évader et à fuir le milieu familial quelques heures. Dans ce chapitre 5 de Pierre et Jean de Guy de Maupassant, nous changeons de lieu : Pierre se rend à Trouville.

La présentation de cette plage et la découverte du jeu de la séduction des femmes jouent un rôle révélateur de l'hallucination de Pierre. 



 Eugène Boudin. Scène de plage, Trouville (1863). Huile sur bois, 34,8 × 57,5 cm, National Gallery of Art, Washington. Ces scènes de plage feront la célébrité de Boudin dans la critique artistique dans les années 1860. D’un style trop allusif, elles déroutent les touristes habitués à l’académisme. On comprend, en observant ce tableau, l’influence de Boudin sur le jeune Monet. Monet commencera par imiter son style.


Dans "Pierre et Jean" de Maupassant...

Vision collective à travers ces différents procédés qui intègrent la mère, sous l'image de cette plage apparaît ainsi la réponse à la question qui le hante (sa mère a-t-elle eu un amant ? Sa mère avait comme les autres, voilà tout ! Sa mère se trouve ainsi déculpabilisé). Cette description trahit le regard de Pierre, ses obsessions, ses efforts pour accepter la situation. Une autre question se pose au lecteur : cette plage révèle-t-elle à Pierre la comédie des hommes ou bien Pierre projette-t-il sur le décors sa vision des hommes ?



Eugène Boudin. La plage à Deauville (1864). Huile sur toile, 50 × 74 cm, musée des Beaux-arts de Caen. Les touristes ne sont pas les seuls à intéresser le peintre. Les activités locales (pêche, élevage, etc.) suscitent également son intérêt. Mais le sujet du tableau reste le paysage marin.


résumé de "Pierre et Jean" de Maupassant

Chapitre I

Une partie de pêche en barque, au large du Havre, réunit Monsieur Roland, sa femme et leurs deux fils, Pierre et Jean, qui rivalisent à la rame devant la jeune, belle et bonde veuve d’un riche capitaine de vaisseau, Mme Rosémilly. Le père Roland est un brave homme borné et commun, qui a laissé Paris et son modeste commerce de joaillier pour se consacrer à sa passion de la pêche qui lui fait passer ses journées sur la mer. Sa femme, « une économe bourgeoise un peu sentimentale », est la mère idéale qui ne vit que pour l’affection qu’elle porte à ses enfants. Les deux frères, unis et opposés par « une fraternelle et inoffensive inimitié », sont très différents sur le plan physique et moral. L’aîné, Pierre, près de la trentaine, brun, maigre et nerveux, tourmenté par de grands projets et sujet à des découragements imprévus, après avoir commencé et abandonné diverses études, a enfin été reçu docteur en médecine. Jean, qui est de cinq ans plus jeune, gros, blond, placide, est docteur en droit et se prépare à exercer tranquillement la profession d’avocat. Le plus jeune, grâce à sa vie régulière, a constamment été proposé comme modèle à Pierre, l’indiscipliné. Au retour, le soir même, la vie tranquille de la famille est bouleversée par la nouvelle de la mort de M. Maréchal, leur fidèle et vieil ami. En effet, celui-ci a fait de Jean l’unique héritier de sa fortune considérable.



 Eugène Boudin. Sur la plage, coucher de soleil (1865). Huile sur bois, 38,1 × 58,4, Metropolitan Museum of Art, New York. « La magistrale et convaincante représentation des effets de lumière par Boudin, comme sur ce coucher de soleil, a profondément influencé le jeune Claude Monet. » (Notice Metropolitan Museum of Art)


résumé de "Pierre et Jean" de Maupassant

Chapitre II

Venu sur le port réfléchir à cet événement, Pierre croise Jean et le félicite pour sa nouvelle fortune. Puis il rend visite au pharmacien Marowsko, qui éveille un doute en son esprit jaloux à propos de l’héritage.


Chapitre III

Une anonyme et peu farouche « fille de brasserie » renforce le soupçon : « Ça n’est pas étonnant qu’il te ressemble si peu ». Pierre trouble le repas où les siens, dans leur optimisme aveugle qui l’irrite, fêtent l’heureux événement et commencent à faire des projets.


Chapitre IV

Sorti en mer, il est atrocement torturé par le soupçon éveillé par les phrases de ses amis, et il cherche avec acharnement la raison pour laquelle seul Jean a hérité de la fortune, alors que Maréchal le connaissait depuis qu'il était tout petit. La brume l’oblige à rentrer. Il commence alors « une enquête minutieuse » et particulièrement pénible pour découvrir la vérité. Un souvenir lui revient : Maréchal, dont un portrait accroché au mur avait été enlevé après la naissance de Jean, « avait été blond, blond comme Jean. ». Il conclut de cette ressemblance que Jean est le fils de Maréchal.



Eugène Boudin. La princesse Pauline Metternich sur la plage (1865-67). Huile sur carton, marouflé sur bois, 29,5 × 23,5 cm, Metropolitan Museum of Art, New York. « Pauline Metternich (1836-1921), épouse de l'ambassadeur d'Autriche à la cour de Napoléon III, était une icône de l’élégance, connue pour son esprit. Elle parlait ironiquement d’elle-même comme « le singe de la mode ». Boudin connut le succès avec ses scènes de familles élégamment vêtues, prenant l’air de la mer à Trouville et dans diverses stations balnéaires. Hormis l’impératrice Eugénie, aucune femme ne pouvait susciter plus d’intérêt sur la plage que son amie la princesse Metternich. » (Notice Metropolitan Museum of Art)


résumé de "Pierre et Jean" de Maupassant

Chapitre V

Il demande à sa mère où se trouve le portrait de Maréchal et lui fait ainsi comprendre qu’il sait tout. Mais il n'ose lui annoncer la vérité car il ne veut pas qu’elle meure de honte. Le trouble de sa mère à propos du portrait, ajouté à la ressemblance, transforme le doute en « intolérable certitude ». Elle perd à ses yeux tout son charme serein de femme aux pures affections.


Chapitre VI

Malheureux, torturé par « l’infâme secret » et par le remord qui le rend honteux de lui-même, il persécute sa mère. À l’occasion d’une sortie sur la plage de Saint-Jouin, Jean se déclare à Mme Rosémilly, adroite en amour comme à la pêche, et, avec le prestige de sa récente richesse, il obtient d’elle une promesse.


Chapitre VII

Dans le nouvel appartement de Jean, convoité par l’aîné, les deux frères se disputent. Pierre, sous le coup de la fureur, ne résiste plus et lui révèle sa découverte, insoucieux de sa mère qui, certainement, les entend de la chambre à côté : « Tu es le fils d’un homme qui t’as laissé sa fortune. » Jean, bouleversé, obtient peu après la confirmation de la vérité de la bouche de sa mère « Tu n’es pas le fils de Roland. ». Elle veut partir à tout jamais, mais il la supplie de rester et ils se réconcilient dans le même amour.



Eugène Boudin. La plage de Trouville (1871). Huile sur bois, 21,3 × 41,6 cm, Yale University Art Gallery. Le peintre affine son style en utilisant des tonalités de gris et d’ocre, les figures, formant une masse, n’étant pas le sujet du tableau. Elles permettent cependant un contrepoint chromatique : jaune, rouge, rose apparaissent. Le ciel occupe les deux-tiers de la composition.


résumé de "Pierre et Jean" de Maupassant

Chapitre VIII

Le caractère placide et positif de Jean prend rapidement le dessus. Il dédommagera son frère en renonçant en sa faveur au petit patrimoine de la famille. En attendant, puisque Pierre n’a plus envie de vivre à la maison, il facilitera son embarquement comme médecin de bord sur un transatlantique.

Chapitre IX

M. Roland accepte tout, sans soupçonner le moins du monde la récente tragédie, tandis que sa femme est moins torturée. Enfin, le groupe du début, moins Pierre, est réuni dans la même barque, pour saluer le départ de « La Lorraine », à bord de laquelle Pierre commence une nouvelle « vie de forçat vagabond ».



Eugène Boudin. La plage à Trouville (1884). Huile sur bois, 13,7 × 23,4 cm, National Galleries of Scotland, Édimbourg. « Les bains de mer deviennent à la mode en France dans la seconde moitié du XIXe siècle et Boudin commence à peindre des scènes de vacanciers sur les plages de Trouville et Deauville dès 1862. Ces tableaux étaient si populaires qu’il développe un format plus petit et une technique plus rudimentaire de peinture en plein air. Dans ces scènes, les vacanciers (principalement des femmes) sont assises et discutent en petits groupes, se promènent le long de la plage ou observent les bateaux dans la baie. » (Notice National Galleries of Scotland)


EUGÈNE BOUDIN, 

UN IMPRESSIONNISTE QUI S'IGNORE

Boudin parvient désormais à vivre de son travail de peintre. La critique le remarque et Zola lui-même, défenseur de Claude Monet, est élogieux à son égard. Il participe à la première exposition impressionniste en 1874, mais ne se considère pas comme un membre du mouvement. L’aisance financière lui permet de voyager en Belgique, aux Pays-Bas et en Italie. Il expose régulièrement à Paris. En 1886, le grand marchand d’art Paul Durand-Ruel (1831-1922) organise à New York une exposition destinée à faire connaître les impressionnistes aux États-Unis. Plusieurs toiles de Boudin sont sélectionnées.

Lors de l’exposition universelle de Paris en 1889, ses tableaux Les lamaneurs et Coucher de soleil obtiennent la médaille d’or. Le décès de son épouse, la même année, l’affecte profondément. La dernière décennie de sa vie restera cependant très productive. Il passe les hivers dans le sud de la France et travaille en plein air. En 1895, il visite Venise. En 1898, malade, il demande à être transporté dans sa villa de Deauville où il décède le 8 août. Selon ses vœux, il est inhumé au cimetière Saint-Vincent de Montmartre.



 

Eugène Boudin. L’été à Trouville (1890-94). Huile sur toile, 49 × 73 cm, musée d’art moderne André Malraux (MuMa), Le Havre. A nouveau, l’autre style de la vieillesse du peintre, qui nous propose une perception visuelle beaucoup plus hardie de la plage de Trouville. Monet évoluait dans la même direction à la même époque.


GUY de MAUPASSANT (1850-1893)

Une enfance normande

Issu d'une famille lorraine, Guy de Maupassant naît le 5 août 1850 en Normandie. En 1860 sa mère se sépare de son mari et s'installe à Etretat avec ses fils Guy et Hervé, né en 1856. Maupassant grandit en Normandie, où il côtoie les pêcheurs et les paysans, dont certains de ses futurs personnages seront inspirés.

Selon la volonté de sa mère, Maupassant est inscrit au séminaire à Yvetot, où il écrit ses premiers vers. De cette période il conservera une hostilité envers la religion. Il intègre ensuite le lycée de Rouen.

Une fois ses études terminées, Maupassant prend part à la guerre de 1870, dans l'intendance puis dans l'artillerie. Il commence ensuite une carrière administrative, au Ministère de la Marine, puis au Ministère de l'Instruction Publique. En 1877, Maupassant apprend qu'il est atteint de syphilis. Il quitte en 1880 son emploi pour se consacrer entièrement à l'écriture.


Flaubert le mentor et le début de la gloire

Gustave Flaubert, vieil ami de la mère de Maupassant, prend alors le jeune homme sous son aile, et l'introduit dans les milieux journalistiques et littéraires. Il rencontre ainsi Tourgueniev et Zola, ainsi que des écrivains naturalistes et réalistes.

1880 marque le début de la gloire, avec la publication, dans le recueil collectif des écrivains naturalistes Les Soirées de Médan, de Boule de Suif. Les portes du journalisme s'ouvrent alors : Maupassant publie des écrits et des articles dans Le Figaro et L'Echo de Paris notamment. Mais cette année est également celle du décès de son mentor, Flaubert.

En 1881, Maupassant publie La Maison Tellier, son premier recueil de nouvelles. Son premier roman, Une vie, paraît en 1883, ainsi que les Contes de la Bécasse, Bel-Ami en 1885.


UNE MUSIQUE D'UN BONHEUR CONTAGIEUX

Erik Satie Trois morceaux en forme de poire

https://youtu.be/Dce3y-HraGE



Erik Satie (Honfleur, 1866 – Paris, 1925) commence l’apprentissage de la musique auprès de l’organiste de Honfleur, puis entre au Conservatoire de Paris  où il obtient des résultats médiocres. Ses premières mélodies sont publiées dès 1887  par son père (Gymnopédies); dès cette période, Satie est précurseur dans plusieurs domaines qui s'épanouiront bien plus tard : musique graphique  (absence de barres de mesure) et conceptuelle, musique de collage.

Il s’installe à Montmartre  et travaille comme pianiste-accompagnateur au cabaret Le Chat Noir,  où il se lie avec Mallarmé, Verlaine, ou Claude Debussy.  Il compose des pièces selon ses amitiés du moment : Le Fils des Etoiles  pour la Rose-Croix, Uspud (ballet chrétien) avec le poète Contamine, Danses gothiques  puis Vexations en rapport avec son amante Suzanne Valadon. Quelque temps après avoir formé l’Eglise Métropolitaine d’art de Jésus-Conducteur, il se consacre brusquement à l’univers du music-hall. A 39 ans, il décide d’obtenir un diplôme à la Schola Cantorum  de Vincent d’Indy,  où il décroche la mention Très Bien, comme pour contredire ses détracteurs (Trois morceaux en forme de poire ). Au moment de la Guerre, il fait la connaissance de Jean Cocteau, avec qui collabore dans le cadre d’un ballet puis dans le contexte de l’éclosion du Groupe des Six  (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Taillefferre).

Toute sa vie, Satie s’est inscrit contre le conformisme artistique  du moment (romantisme, impressionnisme, wagnérisme), en adhérant par exemple au mouvement du dadaïsme, ou en se tenant à l'écart de la vie mondaine parisienne et en méprisant ouvertement les critiques musicaux de son temps. Sa renommée de provocateur  dépasse parfois le vrai rôle que sa musique, à la fois avant-gardiste et accessible et épurée, a joué au seuil du XXe siècle.



VOUS AVEZ BON GOÛT !​
Ce qui m'anime dans cette quête c'est la curiosité intellectuelle, le goût de la connaissance et l'envie de savoir. Si vous êtes comme moi, avec l'envie d'apprendre, aux rivages de la beauté musicale, picturale, poétique​.​

CULTURE JAI (​L'Histoire de l'Art​ en Musique)
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