CARAVAGE DANS LA SPLENDEUR DES OMBRES

 CARAVAGE 

DANS LA SPLENDEUR 

DES OMBRES


Si tout le xviie siècle garde l'empreinte des Bolonais (Carrache, Reni, Dominiquin), force nous est de reconnaître que les plus grands peintres de cette époque – à l'exception de Nicolas Poussin – bénéficient sous une forme ou sous une autre de l'exemple de Caravage : Velázquez et Zurbarán en Espagne, Rubens, Rembrandt et Vermeer dans le nord de l'Europe.

Michelangelo Merisi da Caravaggio, « le Caravage », illustre peintre italien, a remarquablement marqué le patrimoine culturel de Malte lors de son court exil sur l'archipel entre 1607 et 1608. 

Fuyant Rome, où il fut condamné à mort en juillet 1606 pour le meurtre d'un homme à la suite d'un duel, il trouva refuge dans un premier temps à Paliano, dans le sud du Latium, puis à Naples. C'est en juillet 1607 qu'il embarque pour Malte, sur une galère d'une escadre de l'Ordre de Malte commandée par Fabrizio Sforza, ancien grand prieur à Venise.



Saint Jérôme écrivant, Michelangelo Merisi da Caravaggio, 1608 - Oratoire de la Co-cathédrale Saint-Jean, La Valette.

Le Grand Maître de l'Ordre de Malte de l'époque, Alof de Wignacourt, voyait d'un très bon oeil l'arrivée du peintre. L'Ordre est alors au sommet de sa gloire. La nouvelle cité, La Valette, est en pleine construction avec ses fortifications en étoile destinées à affirmer la supériorité du monde chrétien face aux musulmans. Malgré sa réputation sulfureuse et son caractère imprévisible, le Caravage est considéré comme le plus grand artiste vivant.



Le Grand Maître de l'Ordre de Malte  

Alof de Wignacourt


Michelangelo Merisi Caravaggio est admis dans l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem le 14 juillet 1608.

Sa nature sauvage reprend le dessus et à la suite d'événements obscurs il se retrouve emprisonné au fort San Angelo à Malte. Il s'en échappera facilement en bénéficiant probablement de complicités haut placées. 




TABLEAU DE LA CATHÉDRALE 

DE LA VALETTE

La décollation de Saint Jean-Baptiste, Michelangelo Merisi da Caravaggio, 1608 Oratoire de la Co-cathédrale Saint-Jean, La Valette -

Exclu de l'Ordre, il quitte l'île sur laquelle il n'aura guère passé que quinze mois, mais tout en laissant un bel héritage : cinq chefs-d'oeuvre peints à Malte, dont, « La décollation de Saint Jean-Baptiste » et « Saint Jérôme écrivant », tous deux conservés dans l'Oratoire de la Co-cathédrale Saint-Jean à La Valette. La « Décollation de Saint Jean-Baptiste », réalisée in situ est une œuvre monumentale (361 × 520 cm) et l'unique peinture signée par Le Caravage.

Parmi les trois autres œuvres qu'il a réalisées à Malte, deux sont exposées au Palais Pitti à Florence (« Amour Endormi » et « Portrait d'un chevalier de Malte ») et la dernière se trouve au Louvre à Paris (« Portrait d'Alof de Wignacourt »).

 

 Hymne de Malte

https://youtu.be/A779hvCjaYc





AUTOPORTRAIT

 Caravage par Ottavio Leoni (1621)

Craie sur papier bleu, 23,4 × 16,3 cm, 


Trois siècles d’oubli

Passé l’engouement immédiat pour le travail du maître lombard au tout début du XVIIe siècle à Rome, la fortune critique de Caravage rend surtout compte d’une perception arbitraire de son oeuvre, et ce jusqu’au début du XXe siècle. Ses contemporains en sont en partie responsables, eux qui voyaient dans son usage outrancier du clair-obscur et dans sa dépendance au modèle les signes d’une faiblesse technique, de composition et d’idées. Il faut attendre trois siècles pour qu’un œil débarrassé du poids de la tradition se penche à nouveau sur l’oeuvre de Caravage – celui de Roberto Longhi. L’historien d’art réinvente alors notre regard sur le peintre, en identifiant ses sources dans la tradition lombarde naturaliste et en révélant l’influence des idées de la Contre-Réforme véhiculées à Milan – lieu de naissance de Caravage – sur la formation d’un style et le renouvellement d’une iconographie.



Michelangelo Merisi, dit Caravage, Le Joueur de luth (détail), 1595-1596, huile sur toile, 94 x 119 cm 


Brutalité et symbolique dans l’art du Caravage

Le caractère humain, quotidien, réaliste parfois jusqu’au trivial des tableaux religieux de Caravage – dont les modèles, souvent choisis parmi les marginaux et les prostituées, provoquent l’indignation de l’Église – reflète en vérité l’invitation contre-réformiste à considérer la réalité dans tous ses aspects, y compris les plus humbles. Ainsi, en rompant avec le principe d’idéalisation formulé par la Renaissance au profit d’une description sans fard de la réalité, en refusant la correction académique et son corollaire, le dessin préparatoire, Caravage s’empare de la peinture sans élaboration intellectuelle, avec une franchise confinant à la brutalité qui fera dire à Nicolas Poussin, apôtre de la convenance picturale : « Cet homme est venu tuer la peinture. »



Michelangelo Merisi dit Caravage (1571-1610),La Mort de la Vierge, 369 × 245 cm, 1605-1606. Musée du Louvre, Paris

Pourtant, loin de se complaire dans l’exhibition gratuite ou spectaculaire d’une réalité crue, la peinture de Caravage se veut avant tout révélation. À travers l’utilisation de puissants clairs-obscurs, le peintre arrache à l’obscurité des tranches de réalité profanes ou sacrées. La lumière y acquiert une dimension symbolique. Elle devient métaphore de la connaissance, instrument de l’édification du spectateur. Dès lors, Caravage en fait son moyen de composition privilégié. Dès 1594, avec le Garçon mordu par un lézard, le peintre plonge la scène dans un espace indéterminé, sans souci de décorum, en sculptant son personnage avec la lumière et en lui conférant ainsi un spectaculaire effet de présence, renforcé par un cadrage serré, à mi-corps.



Michelangelo Merisi dit Caravage (1571-1610), Garçon mordu par un lézard, 1594, huile sur toile, 65,8 x 52,3 cm, Fondazione Roberto Longhi


Naissance d’une formule

La formule caravagesque se met en place. Paradoxalement, la radicalité de son approche la rend propice à l’imitation. Jusepe de Ribera, peintre espagnol passé par Rome et Naples, qui a largement contribué à la diffusion du style caravagesque en Espagne après 1616, a parfaitement intégré la leçon. En dépouillant au maximum sa composition jusqu’à en faire le dialogue silencieux entre un saint et le faisceau de lumière qui l’illumine, l’Espagnol s’exerce à la formule caravagesque en lui conservant toute sa force de persuasion originelle.



Jusepe de Ribera (1591-1652), Saint Thomas, vers 1612, huile sur toile, 126 x 97 cm, Fondazione Roberto Longhi

Mais au-delà de sa nouveauté formelle au fort caractère symbolique, le modèle caravagesque témoigne également d’innovations iconographiques, car autant dans les peintures profanes que dans les sujets sacrés, comme La Vocation de saint Matthieu (1600), Caravage se plaît à mêler les genres pour mieux actualiser l’histoire. Ainsi, une construction hybride superposant la peinture d’histoire à la peinture de genre, ou la peinture de genre à la nature morte, teinte d’un caractère contemporain la scène représentée: elle a lieu aujourd’hui, devant celui qui la regarde. Cette formule sera suivie tout au long de la première moitié du XVIIe siècle par plusieurs générations de peintres européens appartenant à différentes écoles de peinture, que l’histoire de l’art a pourtant regroupées sous l’étiquette commune de « caravagesques ».




Valentin de Boulogne, Judith avec la tête d’Holopherne, (1628-1629) 


La Manfrediana methodus

Pour la plupart d’entre eux, c’est le voyage à Rome et le contact direct avec les oeuvres du maître lombard qui furent à l’origine d’une conversion au naturalisme, aux gros plans spectaculaires et aux clairs-obscurs audacieux. Il en va ainsi d’artistes italiens comme Carlo Saraceni, Spadarino, Cecco del Caravaggio et Bartolomeo Manfredi. Ce dernier est celui qui a le plus contribué à la diffusion du style caravagesque en Europe, en l’adaptant aux exigences d’une peinture de collection selon des principes stylistiques et iconographiques que l’on a appelés, dès le XVIIe siècle, la « Manfrediana methodus ».



Bartolomeo Manfredi (1580-1622), 

Le Couronnement d’épines, vers 1615, 

huile sur toile, 157 x 235 cm

Cependant, tout en s’inspirant de la manière du maître, Manfredi s’en écarte d’une façon sensible. Sa version du Couronnement d’épines et celle de Caravage révèlent de fines différences dans leur traitement. Si, chez le maître lombard, la composition, très concentrée, met l’accent sur le contenu dramatique de la scène – la relation victime-bourreau –, chez Manfredi, la multiplication des personnages et l’intérêt, tout pictural, porté au coloris replacent la scène dans un registre plus narratif et, dans une certaine mesure, plus décoratif.


Les derniers feux du caravagisme

Loin de la sophistication d’un Manfredi, le naturalisme de Caravage rencontre de façon heureuse dans les écoles du Nord la tradition du paysage et le goût pour le détail. Si des peintres comme Abraham Bloemaert ou Gerrit Van Honthorst adoptent ponctuellement la formule du maître lombard, le Hollandais Matthias Stomer reste attaché durablement, tout au long de sa carrière, à la vulgate caravagesque en privilégiant les scènes nocturnes, les figures à mi-corps et « les visages de vieillards aux rides magnifiées par la lumière » (Axel Hémery). En témoigne sa Guérison de Tobit, peinte entre 1640 et 1649.



Matthias Stomer (vers 1600-après 1650), Guérison de Tobit, vers 1640-1649, huile sur toile, 155 x 207 cm, Fondazione Roberto Longhi


L’Italien Mattia Preti, particulièrement apprécié par Roberto Longhi qui possédait quelques-unes de ses toiles, incarne l’un des derniers souffles de la formule caravagesque : Suzanne et les vieillards, oeuvre de jeunesse, en reprend les clairs-obscurs et le cadrage serré. Mais le traitement de la jeune femme, lumineuse, charnelle, émouvante et mouvante, marque également le triomphe d’un baroque ayant intégré le caravagisme à sa grammaire plus consensuelle et flamboyante.



Mattia Preti (1613-1699), Suzanne et les vieillards, seconde moitié des années 1650, huile sur toile, 120 x 170 cm, Fondazione Roberto Longhi


LA VIE DE CARAVAGE

La vie de Caravage est rythmée par de nombreux épisodes douloureux. Karel van Mander (1548-1606), l'auteur de la Vie des peintres (1604), décrit l'existence dissolue de l'artiste et reconnaît que, malgré son talent, il est bien difficile de se faire un ami de cet homme. Il ne se passe pas d'année sans que Caravage soit mêlé à quelque affaire équivoque ou sans qu'il ait une histoire grave avec la police. En 1605, il purge une peine de prison ; à sa libération, il blesse un homme et pour échapper aux poursuites il se réfugie à Gênes. Mais cette vie de violence ne l'empêche pas de peindre de nombreux chefs-d'œuvre pour des églises ou pour des princes.

L'activité de Caravage peut être divisée en quatre périodes : la première se déroule à Milan où, vers 1584, l'élève de Simone Peterzano subit l'influence des peintres giorgionesques de la terra ferma, Savoldo, Moretto, Lotto, Romanino, Foppa, et aussi des peintres de Crémone, Giulio et Antonio Campi. La deuxième période concerne les premières années romaines, de 1591-1592 environ à 1599 : tableaux de jeunesse, clairs, comportant rarement plus de trois demi-figures ; de 1599 à 1606, date de son départ de Rome, Caravage peint de nombreux tableaux pour les églises de la Ville éternelle ou pour des collectionneurs privés ; les quatre dernières années de sa vie (1606-1610) se passent entre Naples, l'île de Malte et la Sicile. L'œuvre de Caravage, réalisé en une vingtaine d'années à peine, a subi une évolution remarquable.


LE STYLE DE CARAVANE

Caravage est un des plus grands novateurs de l’époque. Sa peinture rompt avec le maniérisme pour s’orienter vers un réalisme puissant et des évolutions esthétiques majeures.


1. Le réalisme



Les Tricheurs (1594-95). Huile sur toile, 92 × 129 cm, Kimbell Art Museum, Fort Worth. 

Trois personnages sont absorbés par une partie de cartes. Le joueur honnête, à gauche, est opposé à un tricheur qui cache des cartes dans sa ceinture. Un acolyte le renseigne sur le jeu de son adversaire. Le fond uni et le traitement de la lumière sur les visages permettent de souligner les attitudes.

 Avec Caravage, nous quittons les représentations idéalisées. Il choisit des modèles humains de type populaire, souvent même des marginaux : prostituées, mendiants, enfants des rues. Les corps humains sont naturalistes avec une mise en évidence de la musculature comme dans Le Martyre de Saint-Matthieu, La Mise au tombeau ou David avec la tête de Goliath. L’Eglise catholique, qui cherche à frapper les esprits face au puritanisme protestant, adoptera une politique sélective : des toiles seront refusées comme choquantes, beaucoup d’autres seront acceptées.


2. Le clair-obscur



 Caravage. 

La vocation de saint Matthieu (1599-1600)

La vocation de saint Matthieu  (1599-1600). Huile sur toile, 322 × 340 cm, chapelle Contarelli de l'église Saint-Louis-des-Français, Rome. A gauche, le percepteur Levi (le nom de saint Matthieu avant qu'il ne devienne apôtre) est assis à une table avec ses quatre aides, comptant les revenus du jour. Le Christ (à droite, qui tend le bras) entre avec Saint-Pierre (au premier plan à droite). D’un geste il appelle Levi (barbu). Étonné par l’intrusion, Levi semble dire, "Qui, moi ?", sa main droite restant sur la pièce de monnaie qu'il avait comptée avant l'entrée de Christ.

Caravage joue beaucoup avec le contraste lumière-obscurité, grande innovation esthétique, que l’on retrouvera  au 20e siècle dans le cinéma et la photographie. Sur un fond sombre, la scène principale est éclairée comme une scène de théâtre avec un projecteur, ce qui accentue considérablement les contrastes ombre-lumière : Le Martyre de Saint-Matthieu, La vocation de Saint-Matthieu, Amour endormi.


3. L’érotisme



Amour victorieux (1602). Huile sur toile, 156 × 113 cm, Staatliche Museen, Berlin. 

Cupidon est en général un jeune garçon angélique et idéalisé. Il est ici physiquement beaucoup plus réaliste. Le regard narquois et la pose sexuellement provocante ont conduit certains critiques à parler de l’attirance homosexuelle de Caravage pour son modèle. C’est assez évident.

Le regard de Caravage se porte principalement sur les corps masculins et on a donc beaucoup commenté sa probable homosexualité. Le corps des femmes (Judith décapitant Holopherne) ne semble pas désirable pour le peintre et par conséquent pour le spectateur, même si le décolleté de la Vierge (La Madone des palefreniers) avait été condamné à l’époque. Ce sont de toute évidence les garçons qui intéressent Caravage, il suffit de regarder : Garçon avec un panier de fruits, Les musiciens, Bacchus, Amour victorieux. Bien entendu, cet aspect de la personnalité du peintre ne pouvait pas être abordé aux 16e et 17e siècles, ni même au cours des siècles suivants. Le plus étrange est que certains évoquent encore aujourd’hui « l’érotisme ambigu » de l’artiste.


ACTE DE DÉCÈS DE CARAVAGE

Michelangelo Merisi da Caravaggio ou le Caravage,

 est mort le 18 juillet 1610 à Porto Ercole. 




Messe avec l'Ordre de Malte 

à Saint Pierre de Rome

https://youtu.be/Glxc1yKb8Jc




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